Elisabeth Teboul, P-dg de Rouch Intermodal
"
Le combiné est au fret ce que le TGV Paris-Lyon fut pour les voyageurs "
. Pourquoi le transport combiné fonctionne-t-il moins bien en France
que dans les autres pays d'Europe ?
E.T : Effectivement sur longue période, le transport
combiné a perdu des parts de marché. Jusqu'à la mise en oeuvre du Plan fret et
à la réforme de la CNC (devenue Naviland Cargo), le transport combiné
comportait de nombreuses liaisons trop courtes et était soumis à une logique
non économique. Depuis 2004, l'activité intermodale continentale a été
restructurée autour d'une épine dorsale Nord-Sud comportant trois grands axes
avec une offre de trains massifs et des distances supérieures ou égales à 600
km. Ce qui signifie que certaines liaisons du transport combiné, vers la
Bretagne ou l'Alsace par exemple, ont totalement disparu. En clair, elles ont
totalement basculé sur la route.
Reste que ce plan était nécessaire. Il part du constat
que pour faire du transport combiné, il faut deu x éléments : un trajet
ferroviaire, long, et une desserte routière courte. Et les résultats le
prouvent ! L'activité combinée qui perdait énormément d'argent est en bonne
voie d'équilibre. Même chose pour nous. Notre exercice 2003 s'était soldé par
une perte de 4,1 millions d'euros alors qu'en 2005, nous avons dégagé un
bénéfice de 260 000 euros pour un chiffre d'affaires de 30,8 millions. Alors
bien sûr, avec la redéfinition du réseau en France, le transport combiné a
reculé, statistiquement, par rapport à ce que font d'autres réseaux en Europe.
Mais cela correspond à la perte de liaisons qui n'étaient pas rentables. Au
niveau continental national et international, nous avons gagné 15% par rapport
à l'an dernier et cette activité représente plus de 80 % de l'activité
combinée de Fret SNCF.
. Pour Rouch Intermodal, quel a été le prix de l'adaptation ?
E.T : Contrairement à ce que l'on aurait pu penser,
Rouch n'a quasiment pas récupéré les trafics perdus par l'ex-CNC. Rouch
Intermodal est avant tout une entreprise routière qui propose trois choses :
de la route, du rail-route et de l'affrètement. Mais en transport combiné,
notre offre qui est une offre " door to door " est calquée sur les
possibilités de son prestataire ferroviaire, Novatrans. Or, avec la
disparition du point nodal de Villeneuve Saint Georges de la CNC, c'est 40% de
l'activité de la zone qui a été perdu !
Pour nous aussi, l'adaptation a été dure. Notre plan
social a porté sur 50% de l'effectif. Nous étions ainsi descendus à 80
salariés en 2004. Depuis heureusement, nous allons mieux. Nous avons recruté
et notre effectif est actuellement de 110 salariés. Pour l'exercice en cours,
je prévois un chiffre d'affaires d'environ 33,7 millions d'euros et un
résultat positif dans un secteur où bien des entreprises ont disparu et où
atteindre l'équilibre relève déjà de la performance. Mais tout n'est pas rose
et nous aurons cette année une faiblesse au niveau de l'excédent brut
d'exploitation due à différents facteurs comme le coût des passages des
camions au service des Mines, ou les différentes hausses des maillons de la
chaîne de transport qui vont des péages de RFF aux hausses tarifaires de la
SNCF en passant par celle des carburants.
. Quels points faudra-t-il améliorer pour conforter ce redressement ?
E.T : En transport combiné, nous sommes pris en sandwich
entre le prix de marché dont la référence est fixée par la route _ des prix
cassés par les routiers d'Europe de l'Est prêts à tout pour ne pas rentrer à
vide _ et les contraintes du ferroviaire : ruptures de charge, réseau limité,
etc., nécessitant encore des aides publiques du niveau observé dans d'autres
pays d'Europe. Mais je reste confiante. J'ai coutume de dire que le combiné
est pour le fret ferroviaire ce qu'a été le TGV Paris-Lyon pour les voyageurs.
A fin 2006, nous avons fait la démonstration que le plan
Véron est vertueux et que son modèle économique est viable pour le combiné.
Nous sommes aidés actuellement par les différentes pénuries qui touchent le
mode routier : pénurie de tracteurs, de chauffeurs, etc. A nous de faire nos
preuves !
Mais, il faut que la SNCF fasse des progrès, sur deux
points. Tout d'abord, en matière de ponctualité. Quand la route atteint un
taux de fiabilité de 98% voire plus, celui du ferroviaire ne peut pas
continuer à être inférieur à 90%. Car alors, le transport combiné n'offre pas
la qualité de service qu'attendent les clients.
Ensuite, il faut réduire les temps d'attente dans les
chantiers Novatrans. A Dourges par exemple, j'ai eu 29% de rejets de transport
de caisses au mois d'octobre et à Valenton, on est bien loin des 20 minutes
d'attente normales ; c'est beaucoup plus.
Je dirai enfin que pour l'avenir, la question n'est pas
tant celle de la survie des opérateurs de transport combiné, comme Rouch mais
la survie des chargeurs eux-mêmes qui sont de plus en plus tentés d'aller vers
l'Est de l'Europe, si nous n'assurons pas un service de transport de qualité.