Projet de liaison autoroutière

Amiens-Lille-Belgique (LAALB)

30 septembre 2003-20 janvier 2004

BILAN (29/03/04) au format PDF

BILAN ÉTABLI PAR LE PRÉSIDENT
DE LA COMMISSION NATIONALE
DU DÉBAT PUBLIC.

2003 a été l'année la plus riche en débats publics depuis la création de cette procédure : sept débats publics se sont déroulés en un an alors qu'il y en avait eu six au cours des cinq années précédentes.

Le débat sur le projet de liaison autoroutière Amiens – Lille – Belgique a été le dernier d'entre eux ; commencé le 29 septembre 2003, il s'est achevé, après avoir duré un peu moins de quatre mois, en débordant légèrement sur l'année suivante, le 19 janvier 2004. Compte tenu de l'approche des élections cantonales et régionales prévues fin mars, il aurait été délicat d'aller au-delà et cela justifie la position prise par M. Carrère, président de la commission particulière chargée d'animer ce débat, qui avait fait savoir qu'il ne pouvait être envisagé de prolonger sa durée.

Au total, depuis le jour de la saisine de la Commission nationale du débat public par le ministre de l'Équipement (lettre du 19 février 2003) jusqu'à la clôture du débat, il s'est écoulé moins d'un an,onze mois très précisément.

Le débat a connu quelques perturbations de nature et de portée différentes.

Son lancement a d'abord été retardé par des difficultés juridico-administratives. Je rappelle qu'en vertu de la loi sont à la charge du maître d'ouvrage les dépenses d'organisation matérielle du débat qui comportent notamment l'impression et la diffusion de documents, les frais résultant de la tenue de réunions publiques (location de salles ou de matériel audiovisuel), enfin ce qui résulte de l'assistance (logistique administrative, communication) apportée à la commission particulière ; pour ce dernier élément, on a habituellement recours à un cabinet privé qui, le maître d'ouvrage étant un servicede l'État (la direction régionale de l'Équipement), doit être recruté en respectant les dispositions du code des marchés.

En l'occurrence, l'appel d'offres ayant fait l'objet d'un recours devant le tribunal administratif, le directeur régional a préféré le retirer et lancer une nouvelle consultation, ce qui malgré ses efforts conduisit à perdre pratiquement un mois et à repousser l'ouverture du débat de début septembre, comme nous l'avions initialement envisagé, au 29 septembre.

. Même si les questions de personnes ne devraient pas être prises en compte, il faut relever les conséquences du départ du directeur régional de l'Équipement du Nord-Pas-de-Calais, nommé directeur à l'administration centrale fin juillet 2003 ; ainsi celui qui avait pu approfondir le sujet pendant la durée de son séjour à Lille, qui avait conduit la préparation du dossier du débat, qui allait être le représentant et le porte-parole du maître d'ouvrage, quittait ses fonctions au moment où le débat allait commencer. Il fut remplacé dans ce rôle par la directrice régionale de Picardie (qui n'avait rejoint son poste que quelques mois auparavant) assistée par le directeur régional délégué du Nord-Pasde- Calais ; la solution ne pouvait sans doute être différente, mais elle laissa apparaître dans les premiers temps certains manques, notamment de coordination, dans l'expression du maître d'ouvrage. De même, on constata ensuite une insuffisante rapidité dans le traitement des questions posées par le public et l'on avait un important retard à la mi-décembre ; heureusement, la publication puis la diffusion dès janvier de la brochure "questions-réponses" permit de rattraper cette faiblesse.

. Il faut enfin évoquer les remous suscités par les décisions du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 18 décembre 2003 concernant les grandes infrastructures de transport, qui faisaient apparaître l'autoroute A24 Amiens – Lille – Belgique parmi la cinquantaine de grands projets d'aménagement du territoire auxquels "le Gouvernement apporte son soutien" et qu'il fait figurer dans des "cartes de planification des infrastructures nationales de transport à long terme (horizon 2025)".

L'annonce de ces décisions suscita à la fois des réactions de satisfaction et des réactions négatives :ces dernières venaient de ceux qui critiquaient le Gouvernement pour avoir annoncé sa décision sans attendre la fin du débat ; certaines associations considéraient que la question d'opportunité apparaissant ainsi tranchée, le débat n'avait plus de raison d'être et que la commission particulière devait y mettre fin.

Par communiqué du 5 janvier 2004, la commission particulière déclare, après avoir rappelé que le débat a déjà permis de recueillir beaucoup d'éléments intéressants mais que certains points important méritent encore d'être clarifiés :

"De ce fait, la commission regrette la décision ambiguë du CIADT du 18 décembre d'une remise à l'étude du projet d'autoroute A24, abandonné en 1997, sans attendre la clôture du débat public. La commission réaffirme son attachement au principe du débat public. Elle mènera le débat à son terme, dans l'esprit d'indépendance qu'elle a manifesté jusqu'ici, pour apporter les précisions qu'elle pourra obtenir sur les points qui sont encore en question. Elle en rendra compte dans son ultime réunion le jeudi 15 janvier 2004 à 20 heures à Lille. "

Pour sa part, la CNDP en délibère lors de sa séance du 7 janvier 2004, son ordre du jour prévoyant d'examiner l'état d'avancement des débats en cours.

Compte tenu de l'importance de cette prise de position collégiale, il m'apparaît utile de citer intégralement la partie du relevé des conclusions de la séance consacrée à ce sujet :

« Débats publics en cours sur les projets :

- Contournement autoroutier de Bordeaux,

- Liaison autoroutière Amiens-Lille-Belgique

Concernant ces deux débats publics, la Commission nationale du débat public a examiné avec attention les réactions suscitées par l'annonce des décisions du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 18 décembre 2003 concernant les grandes infrastructures de transport. Elle constate que le dossier du CIADT présente de façon détaillée ces décisions et ne manque pas, pour chacun des projets cités, d'évoquer les débats publics en cours ou à venir et, pour le Contournement autoroutier de Bordeaux ou la Liaison autoroutière Amiens-Lille-Belgique, indique que "le gouvernement souligne l'importance du débat public en cours" ; elle constate en revanche que le communiqué de presse publié à l'issue du CIADT et qui annonce ces décisions de façon plus brève ne comporte aucune de ces références et semble donc ignorer cette phase d'information et de consultation des citoyens que constitue, conformément à la loi, le débat public.

Or, le grand public n'a eu connaissance, à travers la lecture des journaux ou l'audition des médias audiovisuels, que de cette présentation brève de l'information. Cela peut expliquer les réactions qui se sont exprimées et qui n'ont pas été modifiées par le communiqué du ministre de l'Équipement en date du 31 décembre 2003 qui "tient à préciser le sens des décisions du CIADT par rapport à l'instruction des différents projets d'infrastructures de transport" et indique : "Ces différentes décisions, qui sont le préalable indispensable à l'existence même du débat public, ne préjugent en rien du résultat des différentes procédures administratives en cours ou futures, et en particulier des décisions consécutives aux différents débats publics en cours sur l'opportunité des projets de liaison autoroutière Amiens-Lille-Belgique et du contournement autoroutier de Bordeaux."

La CNDP, autorité indépendante, n'a évidemment pas à commenter les annonces gouvernementales ; mais elle constate que de telles annonces en cours de débat peuvent venir casser le lien de confiance patiemment tissé par la CPDP avec le public. Aussi, demande-t-elle à son président d'appeler l'attention du gouvernement sur la nécessité de veiller à ce que rien ne puisse faire douter de l'intérêt porté par les pouvoirs

publics à la procédure du débat public, élément d'enrichissement de notre vie démocratique

Les dernières réunions se tinrent normalement et le débat alla jusqu'à son terme ; cependant, lesassociations regroupées dans le "collectif pour une alternative à l'A24" annoncèrent le 9 janvierqu'elles quittaient le débat et qu'elles ne participaient plus à ses réunions ; mais, comme elles l'ontreconnu, elles avaient déjà pu exprimer leurs positions et leurs avis ont bien été pris en compte par le compte-rendu.

Malgré cela, le débat s'est déroulé pour l'essentiel dans de bonnes conditions.

Cela n'allait pas de soi, car le passé pèse inévitablement sur les conditions d'engagement et de déroulement d'un débat ; or en l'occurrence, deux éléments auraient pu influer sur les conditions du débat :

- Le projet a derrière lui une longue histoire : c'est dès les années 1970 qu'un projet doublant l'autoroute du Nord fait l'objet d'études, c'est dès la fin des années 80 qu'apparaît le projet d'A1 bis, c'est en 1992 qu'il est inscrit au schéma directeur routier national, etc.

Or, les caractéristiques et l'objet du projet ont évolué, plus ou moins selon les aspects, et le risque est que certains intervenants prennent position, non pas sur le projet d'aujourd'hui, mais sur les souvenirs qu'ils ont conservés des projets d'hier.

- D'autre part, surtout en Picardie, beaucoup de personnes assimilaient le débat public à la procédure spécifique qu'avait été en 2001 la démarche d'utilité concertée sur le projet de troisième aéroport dans la région parisienne. Or malheureusement, le souvenir qu'elles en conservaient était surtout celui de réunions houleuses et conflictuelles. Cette difficulté s'ajoutait à celle que l'on rencontre dans tousles débats publics du fait de la jeunesse de cette procédure : le fait qu'elle est encore mal connue.

La commission particulière a donc fait un effort particulier pour expliquer l'esprit du débat public, ses règles, ses objectifs.

La préparation du débat, sur ce point comme sur les autres, a constitué un facteur essentiel de réussite et l'on voit une fois de plus l'importance de la période qui s'étend entre la décision d'organiser un débat public et le moment où celui-ci commence effectivement.

Pendant cette phase, la commission particulière du débat public doit établir les relations nécessaires et travailler avec le maître d'ouvrage et avec les futurs participants au débat ; en ce qui concerne ces derniers, comme à ce moment il est encore difficile d'atteindre le grand public, les interlocuteurs sont ceux qui peuvent le représenter ou exprimer son opinion ; d'autre part, il est normal et utile d'informer en priorité ceux qui ont des responsabilités particulières et qui ont vocation à jouer un rôle de relais d'opinion : les élus d'abord, mais aussi les responsables socio-professionnels et les responsables associatifs qui tiendront une place particulière dans le débat. Les entretiens avec eux ont pour but d'abord, comme on vient de le voir, de leur apporter tous les éclaircissements nécessaires sur ce qu'est le débat public, ce qu'est sa finalité ; ensuite de les faire s'exprimer sur le projet qui fait l'objet du débat et d'enregistrer leurs questions, leurs préoccupations, parfois déjà leurs positions sur le sujet. Grâce à cela, la CPDP peut faire part au maître d'ouvrage de ses souhaits quant aux sujets que devrait traiter le dossier du débat ; ce n'est pas un transfert de responsabilité, le dossier du débat est bien le dossier du maître d'ouvrage, mais il est important qu'il ne néglige aucun des aspects qui intéressent le public et c'est bien à la CPDP d'y veiller.

Dans le même temps, et là aussi elle met à profit les informations retirées des entretiens préparatoires, la CPDP conçoit le programme puis organise le débat public : sa conception générale, ses différentes phases, les divers "outils" (c'est-à-dire les moyens d'information et d'expression mis à la disposition du public) qu'elle entend utiliser.

Du fait que les membres de la commission particulière ont été nommés en deux temps (4 juin, 10 septembre) séparés par la période de vacances, la première partie de ce travail de préparation et d'organisation a été largement le fait du Président de la commission, M. Gilbert Carrère, qui l'a menée, comme toute la suite du débat, avec l'intelligence et la finesse qui le caractérisent ; en revanche ensuite, la CPDP a travaillé de façon collégiale très régulièrement et même à un rythme soutenu, les tâches ont été réparties entre les membres pour la préparation ou l'animation des différentes réunions

; l'expérience, la compétence, la connaissance de la région accumulées du fait de la diversité des origines et des parcours se sont révélées très précieuses. Je remarque aussi que l'indépendance et la neutralité dont a fait preuve la commission particulière tout au long du débat ont été reconnus et appréciées par les participants. J'adresse aux membres de cette commission mes compliments et mes remerciements pour le travail qu'ils ont accompli.

.Le débat a été organisé de façon à la fois structurée et souple.

- Annoncé publiquement par la conférence de presse que nous avons tenue à Lille avec M. Carrère le 25 septembre, le débat s'est ouvert par une phase d'information qui comportait à la fois la diffusion du dossier du débat, les trois réunions publiques de lancement à Lille, Arras et Amiens, mais  aussi la poursuite des entretiens, des auditions, la mise en place de nombreux stands d'information installés dans des expositions ou itinérants, etc.

Dans le même temps, la CPDP répondait à des invitations en participant à des réunions d'organismeséconomiques ou d'associations.

Cette phase, qui avait d'abord pour but d'assurer l'information du public, permettait aussi à la commission particulière d'enregistrer les questions et les préoccupations de celui-ci. Le bilan qui en fut fait nourrit la réunion tenue à Lille à mi-parcours (24 novembre) au cours de laquelle fut présentée la première synthèse des sujets traités et des thèmes méritant un approfondissement ; il conduisit ensuite à compléter le programme prévu, notamment par les trois "auditions publiques" du début janvier sur lesquelles je reviendrai. Mais, je souligne dès maintenant qu'il est important d'avoir à la fois un programme général bien arrêté au début – qui fournit aux participants un cadre compréhensible leur montrant le souci de la CPDP de couvrir l'ensemble du champ et de l'approfondir progressivement – et la possibilité de réagir avec souplesse pour y ajouter des éléments si l'évolution du débat en révèle la nécessité.

- La deuxième phase était celle de l'approfondissement et de la discussion comportant "neuf tables rondes", réunions thématiques réparties entre les villes chefs-lieux et d'autres situées sur le reste du territoire concerné, choisies en fonction des thèmes traités.

C'était le cœur du débat qui a duré à peu près deux mois ; c'est dans cette période que l'on a vu la réunion réunissant le plus grand nombre de présents avec presque 500 personnes à Doullens sur le double thème de la sécurité routière et du développement local.

Mais, quel que soit le nombre de participants et aussi passionnés que puissent être certains à défendre leur position, ces réunions se sont toujours déroulées dans un climat sérieux et attentif, sans perturbation.

À ces tables rondes se sont ajoutées, comme je l'évoquais plus haut, les trois "auditions publiques",

c'est-à-dire des réunions thématiques avec la participation d'acteurs concernés et d'experts, sur trois sujets qui étaient apparus comme méritant un approfondissement particulier : le financement de la liaison autoroutière, Seine-Nord, le ferroutage. Ces réunions se sont révélées d'un très grand intérêt et M. Carrère exprime le regret qu'elles n'aient pas eu lieu plus avant dans le débat, qu'elles auraient pu ainsi féconder, en suscitant de nouvelles réflexions.

Mais inversement, et la remarque en fut faite lors de la séance de la CNDP du 3 mars après qu'elle ait entendu M. Carrère présenter son compte-rendu, il est important que ces réunions aient répondu à un besoin des participants, qu'elles n'arrivent qu'après maturation de la réflexion.

- Enfin, eut lieu la phase finale avec les réunions d'Amiens et de Lille, phase de la synthèse qui prépare déjà le compte-rendu et montre à tous ceux qui se sont exprimés que leur parole a bien été prise en compte.

Le débat a-t-il joué son rôle vis-à-vis du public ?

. Il a permis une large information de la population des deux régions grâce d'abord aux documents diffusés régulièrement au cours du débat : lors du lancement, le dossier du débat (à 5000 exemplaires) puis en décembre – janvier la brochure du maître d'ouvrage sur les "questions-réponses" ; les cinq numéros du journal du débat qui ont permis de rendre compte des différentes étapes du débat et de sa progression (50 000 exemplaires en tout) ; les huit cahiers d'acteurs, qui ont donné à lavingtaine d'organismes ayant fourni les contributions les plus intéressantes la possibilité de lesvoir imprimer et diffuser en bénéficiant du même tirage que les documents du maître d'ouvrage (5000 exemplaires chacun).

À cela, il faut ajouter la presse, à laquelle le président de la commission particulière a accordé une grande attention et qu'il a rencontrée périodiquement ; qu'elle soit écrite ou audiovisuelle, elle a rendu compte du débat tout au long de sa durée et sa contribution a été substantielle avec 140 articles ou émissions en six mois ; il faut en outre remarquer que c'est la première fois que la presse nationale s'intéresse autant à un débat public.

 La participation du public s'exprime à travers quelques chiffres qui situent ce débat à peu prés dans la moyenne de ceux qui ont eu lieu en 2003 ; un peu plus de 2500 personnes ont participé aux 18 réunions publiques, le site Internet a reçu presque 9000 visites, 340 questions ont été posées à la commission particulière ou au maître d'ouvrage, plus de 140 contributions ont été adressées à la commission particulière.

Le compte-rendu donne des chiffres intéressants, qui permettent une analyse fine des différentes catégories constituant ce public ; les renseignements étant particulièrement détaillés, je n'y reviens pas.

On y voit aussi l'évolution des modes de participation au cours du débat et l'on constate deux phénomènes qui sont liés :

- au début, on a un public diversifié où les "simples citoyens" viennent s'informer puis, lorsque l'on aborde des sujets spécifiques et que le débat se fait plus technique, ces citoyens se font moins nombreux et cèdent la parole à leurs représentants élus ou professionnels ou responsables associatifs qui ont fait l'effort d'approfondir la question ;

- au début, les questions l'emportent : c'est au cours du premier mois (octobre) qu'elles sont les plus nombreuses et pratiquement les deux tiers sont posés en deux mois ; à l'inverse, l'information ayant été ainsi assurée, les participants commencent à prendre position et l'on voit le nombre de contributions, faible le premier mois, croître ensuite pour atteindre son maximum au cours du mois de janvier (qui n'est en réalité qu'un demi-mois).

On verra plus loin que la participation ne doit pas être appréciée uniquement à travers ces éléments quantitatifs mais aussi et surtout en fonction du nombre et de l'intérêt des sujets traités et des arguments développés.

. En définitive, le recours à l'expertise complémentaire a été le seul point faible dans le déroulement de ce débat ; pour deux raisons :

- Le choix du cabinet d'études a été contesté ; or il faut rappeler qu'il avait été en définitive le seul soumissionnaire et, comme il pouvait faire état de références solides, il était apparu que ne pas le retenir, ce qui équivalait à renoncer à une expertise complémentaire, aurait suscité des critiques légitimes

- D'autre part, les délais disponibles étaient réduits et ont fait craindre à certains que le travail ne puisse être suffisamment approfondi. A cela, on peut répondre que le calendrier, effectivement tendu, était une donnée de départ dont tout le monde aurait pu avoir conscience dès le début ; que, d'autre part, le choix de la question soumise à expertise en tenait compte puisqu'il s'agissait de réaliser non pas une étude de fond mais un dire d'expert sur les scenarii d'évolution du trafic.

Cela est regrettable, parce que le travail en question, validant certaines hypothèses du maître d'ouvrage, nuançant ou corrigeant d'autres, était intéressant comme le montre le compte-rendu ; mais malheureusement, il n'a pas été rendu public suffisamment tôt pour nourrir le débat.

Les apports du débat.

La participation au débat, si elle n'a pas été numériquement exceptionnelle, a en revanche été sur le fond particulièrement substantielle et les apports du débat sont très intéressants ; il y a eu discussion approfondie de tous les éléments du dossier : de sa nécessité ou de son opportunité avant tout, des diverses alternatives qui pourraient ou devraient être envisagées, des enjeux économiques et des conséquences qu'auraient ces alternatives, enfin des impacts sur l'environnement humain ou naturel qui en résulteraient.

Le compte-rendu les expose de façon précise et permet aussi d'apprécier la richesse et l'intérêt de ce débat ; en outre M. Carrère a eu l'heureuse idée, et c'est la première fois que l'on procède ainsi, de consacrer une partie entière de son compte-rendu à des citations des interventions orales ou contributions écrites des participants ; au lieu de se contenter d'indiquer ou de résumer leur position, ce qui le plus souvent fait disparaître les nuances, il leur donne véritablement la parole.

De cet ensemble d'observations et de suggestions, je reprendrai les éléments suivants qui me paraissent les plus importants :

. Le constat de départ est à peu près unanime sur l'encombrement et souvent la saturation de l'autoroute A1, sur les mauvaises conditions de circulation autour et dans l'agglomération lilloise. Mais, se sont ajoutées des observations sur l'état physique et l'insécurité d'autres axes routiers ou autoroutiers, d'où résultaient des demandes largement exprimées de remise en état, d'entretien régulier ou d'amélioration de ces axes.

En outre, beaucoup d'interventions, sans nier l'acuité des problèmes sur l'axe Nord-Sud, ont mis en évidence l'importance des flux Est-Ouest.

Comme toujours s'agissant d'une nouvelle infrastructure routière, on a entendu les position opposées de ceux qui considèrent cet aménagement comme indispensable et même urgent et de ceux qui le refusent en affirmant la nécessité de construire un nouveau modèle de développement économique voire de société.

 Ce qui est plus intéressant, c'est que les uns et les autres se retrouvent pour considérer qu'il faut développer les autres modes de transport et l'intermodalité ; pour les premiers, les actions en ce sens permettront d'attendre puis compléteront les réalisations routières ; pour les seconds, elles devraient permettre de les éviter.

Mais, on a aussi entendu les représentants des grands investisseurs ou opérateurs dire que ni le rail ni la voie d'eau ne pourrait apporter à cours ou à moyen terme une réponse à la hauteur attendue.

De même, et c'est un phénomène nouveau, de nombreuses voix ont plaidé pour la mise en place d'un système de régulation par la modulation des péages, système qui pourrait concerner non seulement les autoroutes mais aussi les voies rapides et le réseau urbain (donc des voies utilisées pour les trajets quotidiens domicile-travail). Mais on a fait remarquer aussi qu'une partie des autoroutes était gratuite et qu'en Belgique le réseau autoroutier était sans péage.

 Le débat a illustré les conséquences et fourni des arguments à l'appui de chacune des deux grandes options : aménagement sur place ou tracé neuf ; il ne me semble pas qu'il ait apporté des éléments fondamentalement nouveaux sur une question qui est largement soumise à des contraintes physiques ou techniques.

 Le lien entre construction d'une autoroute et développement économique a été l'objet de nombreuses discussions qui ont favorisé une évolution des esprits et, en définitive, une certaine convergence.

A l'opposition initiale entre ceux qui affirmaient : "l'autoroute est facteur de développement" et ceux qui le niaient, on a vu progressivement se substituer un raisonnement plus nuancé selon lequel l'autoroute peut contribuer au développement si certaines conditions sont remplies et si certaines initiatives sont prises ; cela a conduit à évoquer les besoins de certaines portions de territoire ou de certains pôles d'activité.  En relation avec ces questions, ont été proposés des tracés alternatifs répondant mieux ou autrement à certaines préoccupations d'aménagement du territoire ; c'est le cas des solutions passant par l'Est (Dourges ou Douai-Orchies-Tournai) ; mais le débat a fait apparaître aussi qu'elles ne répondaient pas aux mêmes fonctionnalités et qu'elles suscitaient des réserves du côté belge.

 Les problèmes environnementaux ont été évoqués de façon très développée, à la fois de façon générale et presque conceptuelle (transport routier et développement durable, projet autoroutier et réduction des gaz à effet de serre) et de façon concrète, appliquée aux territoires potentiellement concernés.

Parmi les nombreux sujets traités (qualité de l'air, protection phonique, respect des paysages et des équilibres biologiques…), il me semble que c'est la protection des ressources en eau (et notamment des champs captants de Lille) et la préservation des Weppes qui ont été défendues avec le plus d'insistance.

Le débat a mis en relief et a mieux illustré un problème déjà connu, celui du contournement de Lille ; les intéressés ont souligné que, s'il ne recevait pas une bonne solution, les difficultés actuelles seraient aggravées

par l'arrivée d'un nouvel axe autoroutier.

Or, les prises de position des élus montrent qu'il y a un très large accord pour considérer que le tracé "historique" figurant dans les documents d'urbanisme est aujourd'hui caduc.

Enfin et c'est un apport essentiel, le débat a clairement fait apparaître les incertitudes ou même les hypothèques qui pèsent sur le débouché en Belgique de cet axe à vocation internationale.

On peut certes s'interroger sur le point de savoir si un débat public mené en France pouvait aborder ce point, mais la réponse s'impose : le débat n'aurait pas été complet si cette question, dès lors qu'elle était posée, n'avait pas été traitée. Or, les informations apportées par divers intervenants belges dont certains de premier plan, éclairent très utilement la question : le tracé envisagé aujourd'hui pour l'A24 pose un problème de compatibilité avec le réseau routier belge, le "schéma de structure" de Flandre s'étant référé au tracé historique cité plus haut.

Mais en même temps, on voit se dessiner à travers ces interventions, sinon la solution, du moins la méthode qui permettrait d'y parvenir : celle d'une concertation et d'une coordination entre autorités françaises et belges ; la décision du CIADT du 18 décembre 2003 de mener une expérience transfrontalière pourrait en fournir le cadre.

.Le compte-rendu du débat et le présent bilan seront rendus public, conformément à la loi au plus tard deux mois après la fin du débat, c'est-à-dire le 19 mars.A compter de cette date, le maître d'ouvrage aura trois mois pour rendre publique sa décision quant au principe et aux conditions de la poursuite du projet.

Yves Mansillon.

Directeur de la publication : Yves Mansillon, président de la Commission nationale du débat public (CNDP). Photogravure et impression :

Imprimerie Chirat. Mars 2004.