Conclusions sur le débat

Le premier constat est déjà évocateur : le débat public sur la LAALB se termine en fin janvier, il a permis d’avancer plus vite dans ce dossier en 3 mois qu’en plus d’une décennie de palabres sur l’A24.

Je critique âprement les Verts qui ont décidé de boycotter le débat sur la LAALB, Gilbert Carrère en a été profondément déçu, je l’ai bien senti le 8 janvier à l’hôtel des Tours à Lille lorsque Dominique Plancke et Michel Feutry lui ont annoncé leur décision de  quitter le débat. Transformer le débat sur l’A24 en tribune politique est préjudiciable au bon travail de la commission. 

J’étais donc le seul représentant associatif à assister à l’étude du rapport d’expertise complémentaire présentée par le cabinet ISIS le 15 janvier. C’est la raison pour laquelle il me semble nécessaire d’ajouter cette contribution aux débats car des éléments de décision me semblent importants pour la compréhension du dossier.

1) Réunion de préparation du 8 janvier à l’hôtel des Tours

Présents : Gilbert Carrère et la commission (excusé : M. Fritsch), le cabinet Moser malt et associés, Anita Villers (EDA) , Le collectif pour une alternative à l’A24 (Michel Feutry) , Dominique Plancke (Les Verts), Stéphane Delannoy (association pour une révision du tracé de l’ A24), Hervé Dizy (collectif contre les nuisances routières).

 Introduction par le Président Carrère

Le préfet Carrère regrette que le CIADT n’ait pas attendu la fin des débats pour annoncer la remise à l’étude de l’A24. C’est une ambiguïté qui ne facilite pas la tâche de M. Carrère car il doit depuis lors sans cesse rappeler que cela ne remet pas en cause le débat puisque que c’est une mise à l’étude qui est annoncée et non la mise en œuvre comme cela s’est passé à Bordeaux. « Si le CIADT avait annoncé comme dans le cas de Bordeaux la mise en œuvre la réaction de la commission du CPDP sur la LAALB aurait été différente » ajoute-t-il.

Quant aux sujets qui restent, il faut citer la réaction en Belgique. « On aurait dû y penser plus tôt » dit le président Carrère, « Il n’entrait pas dans les attributions de la commission d’entamer les démarches envers les pouvoirs publics belges, sa mission est centrée sur le maillon LAALB en France ». Il faut donc en déduire un manque de préparation du cadre de la mission de la part du ministère de l’équipement.

« Toutefois, la commission a pris des rendez-vous en février avec les autorités belges de façon à compléter le rapport et à ne pas laisser ces points capitaux en suspend ».

« Il faut également prendre contact avec les ports de Dunkerque et du Havre », je crois comme le Président Carrère que ce se sont des points importants dans le dossier. Les autoroutes des mers ont été évoquées comme possibilités d’alternatives à la route, elles ne nécessitent pas de création d’infrastructures ce qui leur permet une mise en œuvre rapide. Avec les autoroutes nous sommes dans des échelles de temps de la décennie, plus avec le rail et encore plus avec la voie d’eau.

« Faudra-t-il présenter le rapport en terme de résultats ou d’interrogations ? » « Ne risque-t-on pas de lever trop de lièvres ? », sont les sujets de préoccupation du Président.

Michel Feutry du collectif pour une alternative à l’A24 : « Les conditions de la contre expertise n’ont pas été favorables. Le délai de moins d’une semaine imposé par l’appel d’offres n’a permis que la réponse d’un seul cabinet sur les cinq qui étaient pressentis. La commission a bien senti que l’on donnait trop la parole au maître d’ouvrage, cette contre expertise permet de limiter à ce dernier ses pouvoirs sur les débats ». Michel Feutry et Dominique Plancke annoncent alors au Président Carrère leur intention de quitter les débats sur la LAALB. Mme Anita Villers d’EDA et moi-même confirmons au Préfet Carrère que nous poursuivons les débats. Mme Villers ne pourra pas être présente le 15 janvier car elle est retenue à Grenoble par les assises du développement durable.

M. Gachelin rappelle les « incohérences de l’Etat, (…) les moyens ne sont pas à la hauteur des ambitions ». « Il aurait fallu aborder des points particuliers, commander une autre expertise plus large mais cela aurait nécessité un délai supplémentaire de deux mois ». « Le ministère de l’Intérieur a donné l’ordre d’en rester au terme prévu à cause de la proximité des élections régionales et cantonales ».

Anita Villers regrette que le débat n’ait pas de dimension européenne.

Je demande qui a eu l’idée d’appeler l’A24 LAALB ? (les membres de la commission lèvent les yeux au ciel). J’explique que mettre au même niveau un pays, la Belgique, et des villes françaises Amiens et Lille n’est pas pour favoriser le dialogue avec les Belges. La Belgique est peut être un petit pays, mais c’est irrévérencieux de ne pas la considérer plus qu’une ville. D’autre part c’est aussi dans cette dénomination la démonstration que les français ont fait un projet et que les belges n’auront plus qu’à s’en accommoder. C’est vraiment cavalier. Dans le dossier LAALB préparé par le maître d’ouvrage, on sent nettement que la DRE tient absolument à prouver l’utilité de la LAALB. Le Président Carrère répond « qu’on ne peut lui reprocher de le vouloir puisque c’est son projet ». Mais je rétorque qu’il aurait été plus normal de présenter tous les aspects puisque nous nous trouvons dans le cadre d’un débat contradictoire. Le président Carrère ajoute « Il est vrai que si à l’époque où ce rapport nous avait été remis nous avions su tout ce que nous savons à présent, il n’est pas évident que nous l’aurions accepté de la même façon ».

Stéphane Delannoy ajoute que « la DRE s’est arrangée pour ne présenter que les informations qui l’arrangeait. Ainsi les cartes de congestion de la métropole sont délimitées de telle façon que l’on ne peut pas voir la fluidité du trafic en dessous de Douai, on a ainsi l’impression que la saturation est globale ». La commission l’admet et indique que le nouveau document émis par la DRE montre des cartes moins ciblées pour tenir compte de cette remarque. M. Delannoy rencontre M. Carrère après la réunion pour lui présenter la pétition en faveur de la révision du tracé POS et qui place un nouveau tracé de Dourges à Orchies vers Tournai.

M. Carrère regrette que « certaines informations ne lui soient parvenues que tardivement, notamment celles qui concernent la SNCF et le canal Seine Nord qui ne lui ont été présentées que la semaine précédente à cette réunion lors des audits ».

« Ainsi VNF (Voies Navigables de France) ne sait toujours pas si le Canal Seine Nord se raccordera sur la Lys ou sur l’Escaut ». Nous rappelons aussi que « la France a choisi des gabarits de canaux qui lui sont spécifiques, que la hauteur des ponts (5,25m) ne permet pas aux péniches et aux barges de passer à vide, en Belgique cette hauteur est de 7m ». 

Quant à la SNCF sur laquelle reposent bon nombre d’hypothèses de la DRE sur la capacité du rail à absorber une partie du trafic de marchandises, elle annonce pour 2004 une diminution de près de 30% de son offre de transport de fret. On voit mal ainsi comment le scénario C+ proposé par la DRE dans ses hypothèses de travail pourra être respecté. La SNCF explique que le fret est responsable de la moitié de son déficit.

J’en conclue que le retard ferroviaire met donc à mal l’ensemble du dossier LAALB puisque les résultats des études de trafic en 2020 dépendent fortement des alternatives à la route et donc de la réalisation des objectifs de la SNCF.

2) Le rapport d’expertise complémentaire, le 15 janvier 2004 à 18H30

Ce rapport bien fourni m’ayant été communiqué le 14 janvier et présenté à 18H30 le 15 janvier, j’ai préféré en assimiler le contenu plutôt que de livrer des commentaires à chaud lors du débat de clôture au Grand Palais à 20H. Je n’ai donc pas voulu intervenir à ce sujet lors du débat de 20H.

Si les Verts ont eu raison de mettre en doute les données fournies par l’Equipement (DRE),  ils ont eu tort de condamner par avance le cabinet ISIS qui a effectué cette expertise complémentaire et qui n’a pas suivi la DRE sur des points importants.

Monsieur Rousseau de l’agence de Lille du cabinet ISIS présente l’étude qui a été dirigée par Mme Desgrange, chef de projet. Je présente ici les points de discordance avec l’étude de la DDE.

1) rappel des scénarii de travail:

Scénario A = au fil de l’eau (on ne fait rien)

Scénario B = TIPP modérée faible augmentation du prix des transports (actuel)

Scénario C = TIPP sur le gazole pour les PL = TIPP pour les VL en 2020  + diminution de 10% du prix du fret SNCF (choix de la DRE)

Scénario D = extrème volontarisme , doublement prix essence, triplement prix gazole (hypothèse irréalisable qui sert à borner les études)

ISIS annonce que le scénario C n’est pas réaliste car le prix du fret SNCF augmente constamment. L’offre commerciale de la SNCF en 2004 sera de 30% inférieure à celle de 2003. De plus les routiers n’accepteront jamais l’augmentation des prix du gazole. Le scénario C n’est donc pas réaliste.

 

2) les hypothèses de travail de la DRE portent sur une croissance de 2,3% du PIB à 1,9% du PIB (page 22 du dernier document de la DRE). Ceci leur permet d’évaluer une « fourchette » de résultats dans leurs simulations. Isis signale que 1,9% est déjà une hypothèse haute. En conséquence le transport routier qui découle de l’importance de l’accroissement du PIB ne sera pas aussi important qu’escompté par la DRE

 

3) Dans le cas d’une liaison directe A25-A22 (tracé POS de Wavrin – Roncq), la DRE a estimé à 11500 le nombre de poids lourds par jour. Isis estime ce nombre à 9000 sur le tracé POS (Wavrin Roncq) (cf page 26). trafics_routiers_2020

Je précise que ce nombre est inférieur sur le tracé N58 (la DRE l’estime à 7000 dans ces dernières prévisions page 26, si l’on prend une règle de proportionnalité avec les données d’ISIS on arrive à environ 4000 sur la N58). Doit-on alors considérer que plus de 4000 PL n’utiliseront pas la N58 mais les voies urbaines de la métropole, la rocade Nord Ouest de préférence? Quand on sait que le contournement Est pas l’A17 vers Dottignies (B) et Tournai n’est pas utilisé par les routiers car il est 18 km plus long, on peut se poser des questions sur les chances d’une N58 d’attirer les PL. Naturellement il sera plus court d’arriver à Wavrin en utilisant la rocade Nord Ouest pour retomber sur l’A24. Marc Philippe Daubresse va récupérer dans sa bonne ville de Lambersart les PL qu’il a voulu envoyer en Belgique sur la N58.

 

4) La DRE a surestimé également les échanges frontaliers. La région de Tournai (Hainaut Occidental) offre peu de perspectives d’échanges car le développement de ce secteur est faible. Isis prédit une baisse de l’effet frontière.

 

5) ISIS se base sur le scénario B plus réaliste à son sens. Ce scénario est déjà favorable au secteur routier, pourtant ISIS considère une croissance moyenne de 2,1% du trafic de poids lourds jusqu’à l’horizon 2020. Pour mémoire la DDE fait une estimation de 5,5% ( scénario C+ page 23)

 

6) Le péage sur la LAALB va dissuader son utilisation par les habitants de l’Ouest du bassin minier.

 

7) Dans sa partie Nord,  Isis estime à 1000 le report de PL de l’A1 sur A24. La LAALB aura peu d’effet sur le trafic de transit, elle sera surtout utile pour le cabotage. Il faudrait simuler l’impact d’un péage sur l’A25. Isis précise une certaine carence dans la méthode utilisée qui se base sur la loi d’Abraham qui est remise en cause aujourd’hui.

 

Monsieur Verdier du cabinet ISIS conclut sur la robustesse de l’étude de la DDE. Monsieur Hélary, directeur de la DRE,  ajoute que la LAALB aura une fonction intéressante pour le port du Havre et affirme que Dourges ne sera pas tué par l’A24.

3) Conclusions sur le débat

Les partisans et les opposants n’ont pas compris que le but du débat n’est pas de dire qui a raison ou a tort mais d’écouter et de comprendre les démonstrations de chacun, de vérifier que les propos sont cohérents afin d’écarter les démonstrations bancales et de clarifier la suite des débats.

Ainsi la commission a établi que les équations Autoroute=Développement économique et Autoroute=Emplois sont fausses car la relation est peut être nécessaire mais elle n’est certainement pas suffisante. Ceci a été reporté par le maître d’ouvrage dans sa publication de janvier (page 10). (Comment le projet peut-il contribuer au développement économique des territoires traversés ?)

Il y a deux risques majeurs dans le dossier A24 :

1)      Faire l’A24 qu’il ne faut pas. Les partisans de l’A24 veulent tellement obtenir cette infrastructure qu’ils se contenteraient de n’importe quelle argumentation pourvu qu’elle soit favorable à cette construction. On court ainsi le danger de ne pas trouver une réponse adaptée.

2)      Ne pas faire l’A24 qu’il faut. Les détracteurs de l’A24 bloquent toute idée de projet. Ils s’appuient sur des démonstrations certes cohérentes mais qui ne traitent pas l’entièreté du problème. Ainsi la non prise en compte de la réalité de la SNCF est une faille importante dans leur raisonnement.

Le débat public est espace de rencontre et de conciliation. Les patrons routiers ont été pour ainsi dire absents des débats, ce que j’ai signalé lors des premières réunions. C’est bien de leur outil de travail dont il est question. Ils étaient selon la FNTR tellement persuadés que le débat serait tronqué car il déplacerait surtout les opposants à l’A24 qu’ils n’ont pas jugé utile de venir défendre leur cause.

Préconiser comme le font les Verts une autoroute sur le tracé des nationales induira plus de congestion et donc plus de pollution, plus d’accidents routiers, plus de nuisances phoniques pour les riverains car les centres urbanisés se sont développés aux abords de ces nationales. Mme Istas et Monsieur Vivier ont insisté pour le coût de la route soit assumé par les utilisateurs, seul le tracé neuf peut le permettre. Le péage devient alors un moyen de régulation du trafic.

Je n’approuve pas l’idée de M P Daubresse, Paul Astier et Henri Ségard de connecter l’A24 à la N58 en Belgique. Quand on sait que les routiers n’utilisent pas le contournement Est par l’A17 (Dottignies Tournai) car il est plus long de 18 km que le trajet A22-VRU (au centre le Lille). Ces voies  absorbent le trafic international, les produits dangereux ne sont même pas contrôlés et écartés de zones densément peuplées. Comment peut on croire que la N58 sera utilisée par les routiers ? Ils vont vite découvrir que la rocade Nord Ouest sera plus pratique pour rejoindre l’A24 à Wavrin. Que fera-t-on le jour où un camion citerne chargé d’acide déversera sa cargaison et qu’une nappe de gaz corrosif stagnera sur la métropole d’autant plus dangereuse que nous connaissons de nombreuses journées de brumes qui sont de parfaits aérosols pour les polluants ? Doit-on attendre une catastrophe pour réagir ? M. Thierry Ménager, directeur de la DDE du Nord, a confirmé ce point lors du débat d’ouverture en septembre.

Si l’A24 doit être faite, elle doit s’écarter le plus possible de la métropole Lilloise pour se connecter sur l’A25 au niveau de Bailleul. Elle évitera ainsi les champs captant des Weppes et passera plus près de l’entreprise Roquette (13000 tonnes de produits à charger et décharger par jour) et de l’aéroport de Merville. Une fois écartée de la Métropole la tentation de passer par la rocade NO et la N41 sera amoindrie. La congestion sur l’A25  commence vers Nieppe en direction de Lille, il paraît donc judicieux de capter une partie du trafic avant Nieppe et ne plus mêler le trafic de transit et le trafic urbain. Ceci implique une remise en état de l’A25 et l’acheminement du fret par  les ports de Dunkerque et de Zeebrugge.

Pour respecter les termes du scénario C+ adopté par la DRE, il faut construire une voie de ferroutage en même temps que l’A24. Cette voie ferrée servira à embarquer les poids lourds de Bailleul à Amiens dans un premier temps. Elle devrait être gérée par le même exploitant que l’autoroute pour optimiser la complémentarité de la route et du rail. C’est une solution qui permet l’adoption des camions au gaz naturel de ville (GNV) dont l’autonomie est moindre que celle des camions roulant au gazole. Elle permet de s’affranchir des incertitudes de la SNCF qui ne pourra vraisemblablement pas atteindre les objectifs fixés. Un péage bien calculer permettra de rentabiliser le surcoût induit par le ferroutage et de rendre celui-ci plus attractif.

S’il y a moins de morts sur les autoroutes que sur les départementales c’est parce qu’il y a beaucoup moins d’autoroutes que de voies secondaires. Il y a en moyenne un mort tous les 15 km sur l’autoroute, les accidents y sont plus graves à cause de la vitesse et de la présence des poids lourds. Ces deux facteurs sont lourdement aggravants. Limiter l’autoroute à 110 km/h permet de réduire d’au moins 40% la gravité des accidents. Le coût de l’insécurité routière est de 28 milliards d’euros par an. La région Nord Pas de Calais doit bien en représenter 2 milliards. Investir dans la sécurité routière permet un retour sur investissement sur quelques années et de se rapprocher de l’objectif « zéro mort, zéro blessé » déjà atteint par la SNCF.

Je termine par ce qui aurait dû être le préambule de ce débat :

Il faut d’abord un projet euro régional construit avec les Belges de Tournai, Courtrai, Ypres, Comines avant de tracer l’A24. M. Carrère s’est bien rendu compte que les Belges se sont sentis exclus du débat,  je propose d’abandonner la dénomination LAALB qui est doublement insultante pour les Belges :

1) une nation est mise au même niveau que des villes françaises

2) LAALB est le cas typique d’un projet franco français où l’on trace une ligne entre Amiens et Lille, une fois à la frontière, les Belges n’ont plus qu’à tirer leur plan.

 

 

Hervé DIZY hdizy@nordnet.fr http://pollution.nord.free.fr